C’est la magie de la télévision et de son journal de 20 heures : en moins de dix minutes, une scène rare va faire entrer la tragédie rwandaise dans les foyers français. Ce 24 janvier 1993, donc plus d’un an avant la phase la plus terrible du génocide, le présentateur de France 2 Bruno Masure a invité le président de l’association Survie, Jean Carbonare, tout juste rentré d’une mission d’enquête au Rwanda, réalisée avec la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Pendant trois semaines, l’ONG a documenté les massacres de Tutsi organisés par le régime dans des régions où cette minorité (15 % de la population) est concentrée.
« Notre pays, qui supporte financièrement et militairement ce système, a une responsabilité »
A chaque offensive des rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé, dominé par les Tutsi, les Forces armées rwandaises (FAR), sous contrôle du gouvernement au pouvoir, ont répondu par des massacres de civils tutsi et réussi à convaincre la France de défendre ce régime dictatorial mais ami.
En direct, M. Carbonare commente les images des fosses communes. « Ce n’est pas fortuit, ce n’est pas gratuit, assure-t-il. Derrière tout cela, il y a un mécanisme. On a parlé de purification ethnique, de génocide, de crime contre l’humanité dans le prérapport que notre commission a établi. » Puis, les larmes aux yeux, il accuse : « Notre pays, qui supporte financièrement et militairement ce système, a une responsabilité. Et des fosses comme celles que vous avez vues, il y en a pratiquement dans presque tous les villages. J’insiste : nous sommes responsables et vous aussi, monsieur Masure, vous pouvez faire quelque chose… vous devez faire quelque chose. »
Poignante et prophétique, la séquence n’a pas échappé à l’œil de Pierre Conesa. Aussi, quelques semaines plus tard, quand la FIDH présente son rapport définitif à la presse, ce haut fonctionnaire du ministère de la défense envoie l’une…